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L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans les secteurs culturels constitue une révolution majeure, marquant profondément la création, la production et la consommation culturelles. Fortement basée sur l’utilisation de larges corpus de données et des algorithmes avancés, l’IA se déploie à travers diverses applications, qu’elles émanent de centres de recherche renommés, de grandes entreprises ou de startups innovantes. Chaque application, selon son objectif, emploie des techniques et des types de données spécifiques. Cependant, derrière le terme générique de « données », se cachent des réalités très diverses, chacune encadrée par des cadres juridiques qui peuvent varier significativement — notamment les données personnelles, les données publiques ou encore les données relatives aux œuvres.
L’usage de l’IA dans le domaine culturel soulève ainsi des questions juridiques complexes, notamment en matière de droits d’auteur. Par exemple, lorsqu’une œuvre est annoncée comme créée par l’IA, se pose immédiatement la question de sa qualification en tant qu’œuvre de l’esprit et donc de sa protection potentielle par le droit d’auteur. Qui, alors, est considéré comme l’auteur ? Est-ce l’IA elle-même, son programmeur, ou l’entité qui utilise cette technologie ? De plus, la manière dont l’IA apprend et crée à partir d’œuvres existantes pourrait nécessiter de repenser l’accès à ces données sous un angle juridique, tout en tenant compte des implications pour les détenteurs de droits.
Cette complexité est exacerbée par l’utilisation des métadonnées et des données d’usage dans l’IA, qui, bien que cruciales pour les prédictions et recommandations au sein des industries culturelles, ne sont pas toujours clairement régies par des dispositions de propriété intellectuelle. Cela pose d’importants défis en termes de circulation et de partage de données, qui influencent non seulement les pratiques professionnelles mais aussi les équilibres économiques et créatifs au sein des industries culturelles.
Ainsi, en adoptant une perspective européenne, il est impératif de réfléchir à des solutions régulatoires qui tiennent compte des spécificités culturelles et des nécessités économiques, tout en protégeant les intérêts des créateurs et des consommateurs dans un environnement numérique en constante évolution.
Le 27 janvier 2020, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) a ainsi présenté son rapport de mission sur les enjeux juridiques et économiques de l’intelligence artificielle (IA) dans les secteurs culturels. Ce rapport, présidé par les professeures Alexandra Bensamoun et Joëlle Farchy dresse un état des lieux détaillé des défis posés par l’IA dans le domaine culturel, tout en prenant en compte une perspective européenne.
Le rapport se divise en quatre sections principales :
- L’utilisation de l’IA dans le secteur culturel aux différents stades de la chaîne de valeur
- Le statut des produits culturels générés par l’IA « créative »
- Le régime des œuvres permettant la production de créations culturelles par l’IA
- Améliorer le partage de données pour répondre aux enjeux du développement de l’IA
L’utilisation de l’IA dans le secteur culturel
Le rapport explore les multiples applications de l’IA tout au long de la chaîne de valeur culturelle.
Outre les données liées aux œuvres, d’autres catégories comme les données d’usage et les métadonnées sont également utilisées dans les industries culturelles, jouant un rôle crucial tout au long de la chaîne de valeur dans la création, la production et la consommation.
Dans les industries culturelles, l’IA utilise une typologie riche de données pour améliorer diverses tâches. L’IA est par exemple déjà massivement utilisée pour recommander des contenus aux internautes, optimisant ainsi la consommation culturelle.
Cependant, cette utilisation soulève des débats, notamment sur la création de « bulles de filtres » qui pourraient limiter l’exposition des utilisateurs à une diversité de contenus. Selon la CNIL, il s’agit d’un phénomène intervenant lorsqu’un algorithme est paramétré pour ne proposer que des résultats correspondant aux goûts connus d’un utilisateur, il ne sortira alors jamais des catégories connues.
Par ailleurs, les applications de l’IA ne se limitent pas à la recommandation de contenus. Elles jouent également un rôle crucial dans la production culturelle en permettant une analyse fine des tendances du marché et en aidant à la prise de décisions d’investissement. Cela permet aux producteurs de baser leurs décisions sur des données objectives plutôt que sur des intuitions humaines.
Ainsi, ces technologies ne se contentent pas de reproduire les approches existantes mais permettent également de découvrir des relations inattendues entre les données, d’améliorer la personnalisation des expériences culturelles et de pousser les frontières de la création artistique. Toutefois, leur intégration soulève des questions importantes concernant la protection des données, la propriété intellectuelle et l’éthique, nécessitant une attention réglementaire et juridique accrue pour équilibrer innovation et respect des droits existants dans le secteur culturel.
Le statut juridique des produits culturels générés par l’IA
L’intersection entre l’intelligence artificielle (IA) et le droit d’auteur soulève des questions complexes et fascinantes. À l’heure où les IA sont de plus en plus capables de générer des créations autonomes, la question de leur statut juridique devient pressante. La désignation traditionnelle d’un auteur humain se complique avec des œuvres potentiellement créées sans intervention humaine directe, ce qui interpelle le droit d’auteur qui est intrinsèquement lié à la création humaine.
D’un côté, l’IA peut être perçue comme un outil au service de la créativité humaine, facilitant la création d’œuvres culturelles. Cependant, lorsque l’intervention humaine devient marginale, la question de savoir si ces œuvres générées par IA peuvent être protégées par le droit d’auteur se pose avec acuité. La distinction entre la création assistée par IA et la création autonome est floue et complexe à tracer. Historiquement, le droit d’auteur ne s’applique qu’à des œuvres où une empreinte personnelle humaine est discernable.
Les débats actuels portent sur la possibilité d’adapter le droit d’auteur pour intégrer ces nouvelles formes de création ou de développer un régime juridique spécifique qui reconnaîtrait les particularités de l’IA.
Les solutions alternatives envisagées incluent la création d’un droit d’auteur spécial ou d’un droit sui generis, permettant de protéger ces œuvres sans nécessairement les qualifier comme des créations humaines traditionnelles.
Certaines voix proposent de ne pas protéger les œuvres générées par l’IA par des droits privatifs, argumentant que cela pourrait freiner l’innovation. Le rapport analyse les implications de cette approche sur le marché et sur les créateurs traditionnels.
Autrement dit, la relation entre IA et droit d’auteur requiert une réflexion approfondie pour équilibrer les intérêts des créateurs humains, les incitations à l’innovation, et les droits culturels et économiques dans la société numérique.
Le Régime des œuvres alimentant l’IA créative
L’apprentissage machine (deep learning) repose sur l’utilisation extensive de données, souvent extraites d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Cette utilisation soulève la question de savoir si la décomposition et l’analyse de ces œuvres par des intelligences artificielles constituent une exploitation soumise au droit d’auteur. La directive européenne 2019/790 introduit une exception pour la fouille de données qui facilite l’usage de l’IA tout en permettant aux titulaires de droits de réserver leurs œuvres contre cette exploitation. Ce cadre légal tente de trouver un équilibre entre l’innovation technologique et la protection des droits d’auteur, mais pose des questions sur la gestion effective du droit de reproduction.
Le rapport du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) aborde en détail ces problématiques et propose des solutions potentielles pour équilibrer les besoins de l’innovation technologique et la protection des droits des auteurs, notamment des mécanismes de licences collectives.
Ces licences permettent à une organisation de gestion collective d’autoriser l’utilisation d’œuvres qu’elle ne représente pas nécessairement directement, sous réserve que cette organisation soit jugée représentative des intérêts des titulaires de droits concernés. Les titulaires de droits conservent toutefois la possibilité de retirer leurs œuvres du régime de licence collective à tout moment.
Si ces licences permettent de simplifier considérablement le processus d’acquisition des droits nécessaires pour utiliser de grandes quantités d’œuvres, en évitant de devoir négocier des droits avec chaque titulaire individuellement, tout en permettant une gestion collective des droits qui assure que les auteurs reçoivent une compensation pour l’utilisation de leurs œuvres.
Toutefois, au-delà de la complexité de leurs mises en œuvre, la portée des licences collectives étendues peut être limitée par des questions de territorialité, ce qui peut réduire leur efficacité dans un contexte globalisé comme celui de l’internet. De plus, une telle option obligerait sans doute, en définitive, pour les ayants-droit définitivement opposés au TDM à réaliser deux fois l’opt-out (pour échapper au TDM et pour s’extraire de la gestion collective).
Amélioration du partage des données pour le développement de l’IA
L’intelligence artificielle est perçue comme un levier de puissance dans l’économie numérique future, sa capacité à traiter de vastes quantités de données étant cruciale pour son développement. La gestion de l’accès aux données, surtout lorsqu’il s’agit de données liées à des œuvres protégées par la propriété intellectuelle, soulève des questions importantes concernant la compatibilité entre l’expansion des modèles économiques basés sur l’IA et le respect des droits de propriété intellectuelle.
Dans le secteur culturel, le partage des données, qui ne sont pas toujours directement liées à la propriété intellectuelle, reste néanmoins essentiel. La régulation, comme le Règlement 2018/1807 de l’UE sur le libre flux des données non personnelles, ainsi que diverses initiatives européennes, encouragent ce partage et visent à équilibrer l’accès aux données entre les différents acteurs.
En ce qui concerne l’avenir du partage des données dans le secteur culturel, plusieurs approches sont envisagées, y compris des initiatives coopératives pour la gestion partagée des données, des arrangements contractuels entre entreprises, et des régulations qui facilitent l’accès aux données essentielles, pour encourager la transparence et l’innovation tout en respectant les droits des créateurs et la vie privée des utilisateurs.
Conclusion
Le rapport du CSPLA met en lumière les défis et opportunités que l’intelligence artificielle apporte au secteur culturel. Il souligne l’importance d’une régulation adaptée pour encourager l’innovation tout en protégeant les droits des créateurs. Les professionnels du droit ont un rôle clé à jouer pour accompagner ces transformations et assurer un équilibre entre développement technologique et respect des droits intellectuels.
Le cabinet Dreyfus peut offrir son expertise sur les questions de droit d’auteur et d’intelligence artificielle.
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